Fétiches des rues
Pierre et Jérôme Laniau

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Dans une ville de vingt millions d'habitants saturée d'écrans et d'images séduisantes, il m'a paru pertinent de contredire cette quête de visibilité en refusant symboliquement l'espace que constitue le "Bazar Compaptible programme".

Je l'offre donc à mon père, Pierre Laniau, pour la singulière coïncidence de son œuvre "fétiches de rue" avec ma démarche présente et avec l'esprit d'immersion proposé par le lieu.

"Fétiches de rue" est une série de photographies donnant vie aux objets délaissés de Paris. Les histoires que semblent raconter ces fétiches ressemblent aux nôtres. Ont-ils une âme ? Sinon, alors peut-être est-ce nous qui sommes inanimés ? Flottants, errants dans un décor qui nous est familier, ils parlent de nos sociétés mondialisées.

Mon père et moi parlons tous deux du monde de l'Objet, de sa sacralisation par le rite et par l'image. Le refus de montrer de nouvelles images incarnées et la tentative de redonner vie à notre trop plein d'objets sont les deux versants d'un même désir, qui ne pouvait faire sens qu'en immersion, dans cette ville monde qu'est Shanghai.


Jérôme Laniau, 12/02/2012



Le dieu des petits riens

Le monde de l'art a ses marcheurs (Hamish Fulton), ses arpenteurs (Stanley Brouwn), et ses promeneurs (Jacques Villeglé). Mais il a aussi ses flâneurs à la Robert Walser, ceux, qui derrière un faux dilettantisme captent mieux que quiconque la réalité la plus discrète. Pierre Laniau en fait partie. De nuit comme de jour, ce photographe traque un monde parallèle de rebuts formant rébus, dans ce qu'il nomme les « Fétiches de rue ».

On y devine une jouissance myope du détail et du recoin, un refus du monument.
{…} Il y a de la métaphysique dans cette œuvre-clepsydre attachée à l'éphémère. L'artiste n'est pas dans la méthode, mais dans la magie d'une brève rencontre, dans le mariage de la carpe et du lapin, le coq à l'âne visuel. On retrouve chez lui le goût du court- circuit, le « hasard objectif » cher à André Breton. Et ce hasard est parfois cruel, à l'image d'un fauteuil de style Louis XVI abandonné dans la rue, tel un aristocrate clochardisé. Cruauté aussi dans cette scène de ménage entre deux lave-linges amochés qui n'ont plus rien à se dire après la bagarre. {...}

Parfois, les coïncidences virent à l'abstraction pure, aux jeux de lignes et de géométries. Comme dans ce mille feuille mystérieux de faux plafonds. Sur une autre photo, le regard fait ricochet, des lignes frêles d'un séchoir à linge aux rectangles d'un mur, échos involontaires des pavés du trottoir. Récurrentes, entêtantes, les planches abandonnées agissent souvent en révélateur. {...}
S'il braque l'objectif de son téléphone portable sur ces collisions éphémères, il ne cherche pas à les enjoliver. Quand la technologie s'échine à tirer le trivial vers le haut, Pierre Laniau laisse les objets en guenilles.

A la fausse noblesse, il préfère la fragile poésie, la dignité du mendiant.


Roxana Azimi

 


[visuels en attente]